Une inspiration
« J’ai eu une sorte de révélation. J’enseignais à l’université de Stanford, au nord de la Californie, au cœur de la Silicon Valley où les principaux acteurs de la révolution digitale Apple, Google, Facebook, HP, Netflix, ont leurs sièges. Juste au dessus de la vallée se trouvent les montagnes de Santa Cruz dont les forêts de séquoias ont jadis fourni le bois qui a servi à bâtir San Francisco. Un jour, je faisais une randonnée dans cette forêt constituée de jeunes arbres lorsque je suis tombé sur un rescapé, un vieux séquoia épargné par les bûcherons. Cet arbre incroyablement énorme, peut être cinq ou six fois plus grande qu’une baleine bleue. Plus large que ma maison, peut être plus vieux que Jésus et depuis sa base où je me tenais je ne pouvais entrevoir sa cime.
Plusieurs pensées m’ont assailli. La première que ces montagnes étaient recouvertes d’arbres de cette taille avant que nous ne les coupions. La deuxième, que San Francisco, Stanford, et tous ceux de la Silicon Valley existent grâce à cet incroyable stock de ressources qui a permis leur construction.
La troisième à ma connaissance aucune fiction littéraire ne traitait encore de cette contribution des arbres – ce cadeau- à la culture humaine. Je réalisais un peu plus tard que les derniers 2 ou 3 % épargnés continuaient d’être abattus. »
L’interdépendance et l’adaptation
«Ce fut un moment charnière dans ma vie, au cours de laquelle j’ai pris réellement conscience, pour la première fois, du destin de ces magnifiques créatures qui s’inscrivent dans des échelles de temps et d’espace bien plus importantes que les humains.»
« J’ai été abasourdi de découvrir comment les arbres attaqués par des insectes sont capables d’alerter leurs voisins par des signaux chimiques, afin que ceux-ci sécrètent de quoi se défendre de façon préventive. En fait ces arbres créent et diffusent leur propre système immunitaire. Tout aussi étonnante est la façon dont ils partagent nourriture et remèdes grâce à de multiples filaments complexes qui les relient en un vaste réseau souterrain. Un grand arbre de Douglas peut ainsi protéger un petit bouleau pendant des décennies. Certains arbres convoquent un bataillon de guêpes pour les protéger d’autres prédateurs. »
« Plus nous apprenons sur eux, plus leurs leçons en termes d’adaptation et d’interdépendance s’avèrent surprenantes.»
Les écosystèmes
« Nous les humains entretenons une relation avec les arbres et les forêts depuis que nous sommes apparus sur cette planète. L’état sauvage à proprement parler n’existe plus. Chaque écosystème sur terre a été façonné par les hommes. Nous créons et élevons de nouvelles variétés d’arbres, nous exploitons et altérons chaque type de forêt. Nous avons éradiqué de vieilles forêts naturelles et les avons remplacées par des plantations d’arbres. En retour chaque aspect de notre propre civilisation a été façonné et rendu possible par les arbres. Nous avons toujours vécu dans un « âge du bois »
En résumé il n’y a pas « la nature » d’un côté et une entité exceptionnelle que l’on appellerait «l’humanité » de l’autre. Les deux sont inextricablement liés. Ne sommes nous pas en plein mensonge en mettant en avant notre soi-disant autonomie ? »
« Je place la littérature comme un des moyens qui peuvent aider à changer nos consciences et à nous sauver. Il faut garder à l’esprit que tout au long de l’histoire de l’humanité, le vivant a su être un concept qui au delà des êtres humains, englobait toutes les espèces qui rendent possibles notre existence. Notre sort est inextricablement lié à celui des êtres vivants qui fabriquent l’air que nous respirons, filtrent l’eau que nous buvons, produisent et réparent nos sols. »
Une culture collective
« Ce qui touche à sa fin et à très court terme, c’est notre culture occidentale individualiste, autocentrée et guidée par la seule satisfaction de nos besoins matériels. Comment un mode de vie basé sur la croissance sans fin des richesses, du pouvoir et du contrôle pourrait-il continuer dans un monde où la production de l’énergie est tributaire de l’existant et où les ressources se renouvèlent en respectant un cycle défini. Cette culture, dans laquelle nous sommes englués sans même voir que ce n’est qu’un choix parmi d’autres. Nous même nous nous condamnons et nous ne regretterons pas ce changement à venir qui va s’imposer. Malgré les preuves qui sont accablantes et le consensus grandissant parmi les scientifiques, les graphiques et les mises en garde sont rarement suffisants pour amener quelqu’un à changer d’avis. »
« Les psychologues ont démontré par de nombreuses expérimentations que les individus ont tendance à raidir leurs positions et à refuser de changer d’avis lorsqu’ils sont émotionnellement investis. Nous ne sommes pas des créatures guidées par l’intelligence mais plutôt par les sentiments. Nous avons besoin de prise de conscience qui passe par notre intelligence émotionnelle. »
La technologie une clé de l’arborescence
« La technologie joue un rôle dans cet apprentissage qui emprunte au végétal en terme d’arborescence. Les mots collaboration reviennent souvent comme une clé.
Chaque technologie depuis la hache et le stylo jusqu’au téléphone mobile et Facebook a d’innombrables influences, à la fois positives et négatives. Chaque nouveau robot en même temps qu’il élargit notre champ des possibles, impacte et est impacté par nos aspirations. Nous opposons souvent nature et technologie. Mais en fait les progrès dans la connaissance environnementale et écologique et par là même notre compréhension de la complexité et de la réciprocité et de l’interdépendance de ce système reste tributaire de l’avenir informatique.
Nous ne pourrions simplement pas faire les calculs ou établir les modèles complexes des environnements vivants sans la puissance des ordinateurs pour intégrer la masse des données inhérentes. Les millions de ligne de code qui entrent dans la réalisation d’un jeu vidéo enligne sont comparables à celles qui permettent d’établir des modèles de prédiction du changement climatique et des espèces en danger. Les travaux sur la reconnaissance faciale dans le domaine de la sécurité produisent aussi des applications étonnantes qui permettent d’identifier la plante que vous êtes en train de regarder en prenant une photo de sa feuille. Les capteurs environnementaux et les satellites sont déjà indispensables à nos tentatives de réguler et de prendre soin de ce monde blessé. Il n’y a pas un scientifique spécialisé dans le végétal qui ne dépende de l’informatique.
Nous avons fait une grossière erreur de compréhension de la sélection naturelle. Quand nous entendons « le plus apte » nous pensons le « plus fort » ou le « plus dominant ». Or le plus apte veut simplement dire le mieux « adapté » à l’environnement, presque entièrement constitué d’espèces vivantes. Ainsi les plus aptes à survivre sont ceux et celles qui sont le plus étroitement reliées aux autres et à ce qui les entourent. »
Des actes de coopération
« C’est une autre façon d’appréhender, là où nous voyons une compétition, nous apparaissent clairement des actes de coopération. Maintenant que nous percevons comment les arbres communiquent, s’avertissent et se protègent les uns les autres par les airs, comment ils partagent nourriture et remèdes par le sol, nous comprenons qu’il n’y a pas d’individus dans la forêt, mais seulement des communautés. »
Pour reprendre les mots de Henry THOREAU (1853) « Vivez chaque saison au fil des années, respirez l’air, buvez la boisson, goûtez le fruit et résignez vous à l’influence de chacun ».